Journaliste indépendant, Sylvain Lapoix est le scénariste et co-auteur d’Energies extrêmes, BD-enquête à paraître le 12 septembre prochain dans La Revue dessinée. Il nous parle des gaz de schiste qu'il couvre depuis 3 ans.
D’où vient ton intérêt pour l’environnement ?
Je bénéficie déjà d’un terreau “fertile”, on va dire. Je fais partie d’une famille de scientifiques naturalistes qui fait attention à l’environnement et à la nature. Et dans le cadre de mon travail chez Marianne, j’ai été amené à m’intéresser à des problématiques perçues comme strictement économiques, mais à fort enjeu écologique et environnemental.
Par la suite, j’ai eu une réaction politique au sens intime du terme devant la dégradation de la couverture de ces sujets là qui m’a amené à m’en saisir.
C’est une conviction personnelle qu’aujourd’hui on a une vision uniquement économique de la vie politique au sens de la gestion de la cité, alors qu’une partie considérable des sujets qui nous préoccupent trouveraient une réponse beaucoup plus appropriée à travers une approche écosystémique pour une meilleur gestion et un mieux commun.
Pourquoi as-tu décidé de faire des gaz de schiste ton cheval de bataille ?
Ma seule bataille, c’est d’avoir un débat informé et d’avoir des citoyens à même de se faire une opinion sur la base d’un traitement équilibré. Dans l’évolution de la presse aujourd’hui, il y a malheureusement beaucoup de choses qui passent à la trappe en terme d’exigence déontologique et de qualité de traitement et les gaz de schiste en faisaient partie.
Au départ, c’est juste un copain qui fait partie de groupes de réflexion environnementaux qui m’a dit : “ regarde ce trailer d’un film américain, c’est complètement dingue ”. Ce docu, c’était Gasland.
A l’époque je travaillais pour Owni et j’ai réalisé en commençant à creuser la chose que si je voulais étudier la question et en faire un sujet de débat, je ne pouvais pas me contenter d’un traitement uniquement économique, écologique ou politique.
Et c’est en cela que j’ai trouvé que les gaz de schiste étaient un vrai nouvel enjeu, c’est qu’on avait tous les signes d’un débat de société digne du XXIème siècle, c’est que dans cette question, les problématiques écologiques, sociales, industrielles, économiques, politiques au sens de gouvernance étaient indissociables.
J’ai toujours trouvé quelque chose qui valait la peine d’être porté à l’attention du public, particulièrement sur ce sujet où il y a un lobbying inimaginable en termes de moyens et de champs couvert, au niveau scientifique, universitaire, politique, société civile, des institutions européennes et internationales.
Et finalement je trouve la motivation de revenir et de creuser ce sujet en tant que journaliste, parce que chaque fois que j’y replonge, je trouve une résistance à un débat qui soit non biaisé.
Est-ce que tu peux résumer ce débat sur les gaz de schiste ?
Les gaz de schiste, c’est un débat qui porte sur des questions extrêmement structurantes pour la société. La première, c’est : a t-on besoin d’une énième énergie de transition avant de passer à un autre modèle ? Est-ce qu’on reste dans une société pétrolière, et donc une société de la combustion permanente, ou est-ce que l’on passe sur des modes de consommation alternative, de production alternative, est-ce qu’on mixe les deux, quel est le mix ? Il n’y a pas de réponse A, B, choisissez votre camp camarade, c’est vraiment un truc plus fin que ça.
Clairement la question c’est est-ce qu’on en a besoin et quel est notre modèle énergétique pour la société ?
La deuxième question, c’est l’aménagement du territoire. Est-ce que ça vaut la peine de livrer des territoires entiers à l’exploitation des gaz de schiste ? Car ce n’est pas comme le pétrole ou bien le gaz conventionnels, ici on parle de petites réserves qui sont étalées sur des surfaces considérables sur des champs considérables. Les schistes en question s’étalent sur des centaines de kilomètres carrés et pour avoir une production optimale, il faut énormément de forages.
Au niveau des ressources utilisées, je ne reviendrai pas sur le boom du sable qu’a provoqué les gaz de schiste, sur l’explosion des prix de la guar, la gomme utilisée pour l’épaississement des liquides de fracturation, c’est intensif à tout point de vue.
Je reviens du Dakota du nord où il y a eu un boom des huiles de schiste qui s’extraient de la même façon, avec de la fracturation hydraulique et du forage horizontal et là bas on est dans un cas assez effrayant de mono industrie. Le Dakota du nord est un Etat au départ totalement abandonné des politiques publiques et du développement économique américains. Si vous tracez une ligne entre boston et Seattle, ici vous êtes pile au milieu, il n’y a rien. Et anecdote intéressante, ce lieu était tellement laissé à l’abandon qu’à une époque, c’était le lieu d’enfouissement de silos d’armes nucléaire des états unis. C’est dire à quel point on en avait rien à secouer de ce territoire.
Et là d’un coup, le boom des huiles de schiste a fait que tout l’état est livré à cette mono-industrie. Les routes, l’antenne de la radio, tous les quotidiens en parlent, les panneaux sur le bord de la route, etc. Ok c’est un développement économique, mais les gens en pâtissent aussi et le développement économique ne les touche que minoritairement.
L’industrie gazière et pétrolière, ce sont des jobs extrêmement qualifiés, hyper exigeants en termes scientifiques, techniques et de sécurité et la question, c’est qu’est-ce qu’on va faire de ces territoires demain si tout cela s’arrête, si les réserves s’épuisent plus vite que prévu ?
On se retrouvera avec un territoire qui sera grêlé de puits, refermés peut-être, bétonnés peut-être, mais avec des nappes phréatiques dans un état pas forcément génial. Il y a déjà eu de très nombreux cas de débordements de bassins de liquide de fracturation qui se déverse dans les nappes phréatiques ou les eaux de surface.
Et qu’est-ce qu’on va faire de ce territoire une fois qu’il sera usé, utilisé ? Et finalement aujourd’hui la question des gaz de schiste et des huiles de schiste en France, c’est la même chose, est-ce qu’on a envie de faire de la Seine et Marne, une plateforme gazière ou pétrolière onshore tournée vers l’exploitation du pétrole de schiste ? Tout cela pour une autonomie pétrolière très limitée dans le temps. Le calcul est-il viable ?
Selon toi, il faut donc faire un calcul coût/avantage ?
La plupart des calculs qui sont avancés pour justifier l’exploitation des GDS en France, c’est une règle de trois. Aux USA, on a tant d’emplois pour tant de réserves, donc en France comme on a tant de réserves on aura tant d’emplois.
Ça part d’un postulat complètement stupide qui est qu’un mètre cube de gaz de schiste demande autant de travail n’importe ou dans le monde, c’est faire fi de la technologie, de la géologie et de l’environnement économique autour.
Ensuite, le problème c’est qu’est-ce que cela va apporter concrètement en France ? Notre dernier gisement de gaz naturel, Lacq dans les Pyrénées, est en train d’arriver en fin de vie. Total a des équipes pour exploiter qui ne vont plus servir à rien. Y’a des sous traitants qui ne vont plus avoir de job. On ne va donc pas créer d’emplois, on va en sauver.
Alors je sais que dans la perspective de la crise mondiale, économique et tout ça, sauver un emploi, c’est critique. Le problème c’est que le chômage ne se résorbe pas en sauvant des emplois, il se stabilise.
Donc la question c’est : est-ce que c’est l’option politique la plus appropriée ? Et là pour le coup, je me permets avec ce que j’ai observé d’émettre un sacré doute. J’attends qu’on me prouve que ces gisements vont créer de l’emploi durablement.
En quoi doutes-tu que ce soit durable ?
Je doute que ce soit durable parce que lorsqu’on regarde les chiffres - là encore je ne fais pas d’idéologie, je récolte des infos et je les confronte - l’entreprise anglo-australienne BHP Billiton a perdu des milliards sur les gaz de schiste.
Et Chesapeake Energy, qui est le deuxième producteur de gaz de schiste aux Etats-Unis, est actuellement en recherche de plusieurs milliards de dollars pour finir l’année. Ils ont même été obligés de virer leur PDG pour une histoire de délit d’initié, après que l’autorité des marchés américaines ait pointé des incohérences dans les chiffres de production livrés aux investisseurs, qui avaient fait grimper le titre en Bourse.
Une sorte de scandale à la Enron ?
Une sorte d’arnaque... Total a déprécié ses actifs de 800 millions ou un milliards d’euros l’an dernier (à vérifier) du fait de pertes dans les gaz de schiste. Le PDG d’Exxon a déclaré en juin dernier, « avec les gaz de schiste, nous perdons notre chemise ». Il y a des doutes sur la viabilité économique, c’est Christophe de Margerie qui le dit, le PDG de Total. Et nous ne parlons ici que d’économie.
Quand c’est du gaz conventionnel, cela remonte tout seul, mais là vous devez injecter des produits, forer sur des kms, avoir une armée de camions, ça coute extrêmement cher.
Et quand vous discutez avec l’industrie, on vous dit à votre place j’achèterai des sociétés qui vendent du sable ou qui font bouger des camions parce que elles gagnent de l’argent, alors que celle qui produisent du gaz de schiste n’en gagnent pas.
C’est en partie lié à notre modèle économique. Comme la plupart des pays achètent à court terme (contrairement à la France qui achète à long terme), le marché est très volatil. Et sur ce marché spot, l’arrivée des gaz de schiste a fait s’effondrer les cours. Certains avancent même ouvertement l’hypothèse que les gaz de schiste sont une bulle qui pourrait bien exploser un jour.