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L'actualité du débat

Libérer les énergies positives

Mobiliser tous les gisements d’économie d’énergie par la sobriété, développer l’efficacité énergétique et la production d’énergies renouvelables, c’est tout à fait possible. Exemple avec les Territoires à énergie positive, qui préfigurent ce que pourrait être la transition énergétique dans les territoires ruraux.

Parc eolien des versennes 36MW

Le Mené (6 500 habitants), Montdidier (6 500 habitants), Tramayes (1 000 habitants), la communauté de communes du Val d'Ille dans le périurbain rennais (20 000 habitants, Ille-et-Vilaine), le Pays Thouarsais qui compte trois communautés de communes pour un total de 40 000 habitants dans les Deux-Sèvres ou encore la Biovallée (Drôme).

Tous ces territoires visent à réduire leurs besoins d’énergie au maximum et à les couvrir par les énergies renouvelables locales, suivant le principe des bâtiments à énergie positive.

Ils appliquent à la lettre les trois principes de la démarche négaWatt : sobriété énergétique, efficacité énergétique et énergies renouvelables. Et cela marche !

« Les territoires ruraux sont ceux qui ont le plus de potentiel énergétique, beaucoup de foncier, beaucoup de ressources, et aussi une moindre consommation puisqu’ils ont peu d'habitants, explique Yannick Régnier. En dessous de 75 hab/km2 environ, tout territoire peut raisonnablement envisager devenir un territoire à énergie positive ».

A leur manière, ils inscrivent la question de l’énergie au cœur d’un engagement politique, stratégique et systémique en faveur du développement durable du territoire. De fait, ils prônent la réappropriation par l’ensemble des citoyens, élus, acteurs économiques des questions d’énergie, et travaillent à les associer dans la prise de décision publique et dans la réalisation des actions chacun à son niveau pour créer une véritable dynamique territoriale.

Parmi les bénéfices attendus, la mise en œuvre d’une politique locale de l’énergie apporte par exemple des pistes pour la prévention de la précarité énergétique. Le cas de la politique menée par la Ville de Montdidier est riche d’enseignements.

Face au constat que les bâtiments du territoire sont des passoires énergétiques et que les revenus des habitants sont bas, la ville s’est posée la question de l’accompagnement de ses habitants pour leur permettre de maintenir leur habitat.

Elle a trouvé une partie de la réponse dans sa régie municipale de distribution et de production d’énergies, et en particulier son parc éolien public inauguré en 2008. Les bénéfices générés par la production éolienne sont estimés à environ 120.000€ les cinq premières années, puis 400.000€ les dix suivantes, et répartis en trois tiers, dont un bénéficiant à la commune pour sa politique de réhabilitation des écoles et logements locatifs sociaux, et un autre pour financer des chèques « énergie » aux habitants. Si les chèques sont modestes, un accord avec les distributeurs locaux (lampes basse consommation, économiseurs d’eau) et un travail pérenne de pédagogie à travers le bulletin municipal démultiplient les résultats. Une aide de 40%, dont 20% de la ville, est proposée pour l’achat d’un vélo électrique. Par la suite, l’acquisition d’appareils électroménagers performants, voir de véhicules électriques, sera aussi aidée.

Montdidier couvre 50% de la consommation d’électricité de son territoire avec ses quatre éoliennes. Aujourd’hui, les habitants sollicitent la maire : « pourquoi n’ajoute-t-on pas quelques éoliennes pour arriver au moins à 100% ? ». Ce souhait sera exaucé: Montdidier vise l’autonomie énergétique globale de son territoire en 2030.

 

« L’idée de « territoire à énergie positive » est globale, positive (!) et fédératrice. Les énergies dont il est question sont surtout humaines, et s’emploient à développer tous les potentiels pour en tirer le meilleur : parfois tous les besoins d’un territoire pourront être couverts par la production locale, parfois non, et parfois ils pourront être dépassés », affirme Yannick Régnier du CLER.

En effet, il ne s’agit pas de vivre en autarcie ou de développer un mode de vie insulaire. Si l’exploitation peut conduire à des productions excédentaires, elles seront mises à disposition de territoires moins pourvus, notamment les villes, dans une logique de solidarité territoriale, à la manière de ce qui se fait au sein des AMAP.

«  C’est une logique de relocalisation de la production énergétique et d’émancipation où l’on préserve les échanges. Ces territoires ruraux produisent chez eux pour leur propre intérêt, mais aussi pour les autres. Dans les faits, il n'y a pas de rupture avec la solidarité nationale, la péréquation et le réseau. Tout ceci se fait en interconnexion », précise Yannick.

Un territoire à énergie positive n’est donc pas un territoire « à somme nulle », mais un territoire qui reprend le contrôle sur son destin énergétique. Jacky Aignel, vice-Président de la communauté de communes du Mené (Côtes-d’Armor) en charge des énergies, le résume très simplement:

« il faut que les gens comprennent la démarche que l’on veut instituer dans notre territoire. Nous sommes tous des consommateurs, mais aussi nous avons besoin d’être des acteurs, des acteurs de notre propre vie et des acteurs de notre propre développement ».

Parmi leurs objectifs, il s’agit bien sûr de diminuer les émissions de gaz à effet de serre sur le territoire afin de participer à la lutte contre le réchauffement climatique, en atteingnant l’objectif de 100% de renouvelables.

Mais au niveau local, l’ambition du modèle « territoire à énergie positive » déjà mis en pratique à Güssing en Autriche ou Prato-allo-Stelvio en Italie est surtout de transformer une contrainte planétaire (la déplétion des ressources fossiles et fissiles) en un atout puissant de développement.

« L’exploitation de tous les potentiels énergétiques permet en effet la valorisation du territoire, dont la mesure se chiffre en millions d’euros investis localement plutôt que d’être « jetés par la fenêtre ». Pour les économies comme pour la production d’énergies, il faut jouer sur tous les tableaux ! Ce faisant, le territoire augmente sa résilience, c’est-à-dire sa capacité à encaisser des chocs extérieurs tels que la hausse du coût des énergies fossiles ».

 Ces efforts participent enfin au développement local : ils créent de la richesse, des filières économiques locales et des emplois. Tout en préservant et améliorant la qualité environnementale du cadre de vie (réduction de la pollution de l’air, traitement des excédents de rejets organiques azotés et phosphorés…).

L’exemple du Mené

Soucieux de l’avenir économique du territoire et anticipant l’évolution du paysage énergétique, les élus et les habitants du Mené (6300 habitants, Côtes-d’Armor) se sont ainsi engagés, depuis une dizaine d’années, dans une démarche qui devrait permettre d’ici 2030 de produire plus d’énergie qu’il n’en est consommé sur son territoire (électricité, chaleur, mobilité), y compris par l’industrie qui représente environ un tiers de la consommation.

« En 2013, les besoins sont couverts à 25%, et dès 2020, le seront à 75%. Le dernier quart sera sans doute le plus difficile à conquérir, notamment pour couvrir les consommations liées au transport », précise Marc Théry, chargé de mission énergie de la Communauté de communes.

Le Mené témoigne, à travers la méticulosité de sa démarche, à la fois de sa modestie et de son ambition, et du fait que rien ne se fait du jour au lendemain, comme par un coup de baguette magique. La communauté de communes est ainsi devenue un modèle de la maîtrise et du développement des énergies renouvelables en milieu rural.

 

Le premier projet structurant est celui de l’unité de traitement et de valorisation de la matière organique Géotexia, inauguré le 17 juin 2011, après dix longues années d’un travail acharné.

« Le projet Géotexia a commencé à prendre forme une fois que la trentaine d’agriculteurs aujourd’hui membres de la CUMA Mené Energie, notamment Dominique Rocaboy, avaient reçu suffisamment d’information et avaient visité d’autres pays européens (Allemagne, Luxembourg, Danemark, Suède…) dans le but de trouver une solution à leur surplus de lisier. À chaque mission, ils emmenaient avec eux les élus et acteurs locaux ».

Grâce à l’important travail de médiation et de mise en relation, des élus et techniciens, des agriculteurs et artisans entourés d’experts de l’Ademe et d’industriels ont pu répondre à la fois aux problèmes d’excédents de lisier pour les éleveurs de la CUMA Mené Energie, de gestions des déchets d’industries locales (en particulier de l’agroalimentaire) et de la collectivité, et contribuer par ailleurs au développement des énergies renouvelables.

Géotexia Mené traite par méthanisation 35 000 tonnes de lisiers agricoles et 40 000 tonnes de coproduits issus d’entreprises agroalimentaires locales (abattoirs,…). Ce biogaz alimente deux moteurs d’une puissance totale de 1,3 MW électrique. L’électricité produite est vendue sur le réseau et bénéficie du tarif d’achat pour le biogaz.

En parallèle l’huilerie Ménergol peut produire jusqu’à 1500 tonnes d’huile de colza carburant, soit deux fois la consommation des machines et tracteurs agricoles de la communauté de communes, en utilisant seulement 10% de la Surface Agricole Utile. Des chaufferies sur réseaux de chaleur, alimentées en plaquettes bois produites localement, équiperont à terme tous les bourgs des villages. Un parc éolien, dont 30% du capital est détenu par les habitants via des clubs d’investissement participatifs (Cigales), sort actuellement de terre.

Et la communauté de communes contribue directement à la dynamique avec la réalisation de la pépinière d’entreprises Ménerpôle, bâtiment basse consommation, qui accueille aujourd’hui cinq jeunes entreprises du domaine de l’énergie. Un programme de construction de trente logements « sans facture de chauffage » par le stockage intersaisonnier de chaleur solaire, est en cours et les premières maisons construites.

 

Plaquette bois

Le travail en réseau

Bref, les territoires n’ont pas attendu le débat pour mettre en œuvre la transition énergétique. « C’est un exercice quotidien, selon Yannick Régnier pour qui « les collectivités ne doivent pas attendre d'avoir des compétences plus explicites en matière d'énergie pour agir ».

La communauté de communes du Mené (Côtes-d'Armor) « s'est emparée du sujet via sa compétence en matière de développement économique ». L'unité de méthanisation qu'elle a mise en place est 100 % privée. La société Géotexia qui exploite l'usine est détenue pour un tiers par les agriculteurs, un tiers par la Caisse des dépôts et consignations, et un tiers par du privé.

Il n’y a donc pas un problème rédhibitoire de compétences (en droit), mais plutôt de savoir-faire dans la gestion de ce type de projets.

« Beaucoup se sont cassés les dents sur les difficultés administratives. C’est une des raisons pour lesquelles le réseau Territoires à énergie positive a vu le jour : porter des propositions visant à faciliter le travail des collectivités et des acteurs locaux ».

Le réseau Territoires à énergie positive regroupe collectivités, syndicats, coopératives et animateurs locaux autours de projets d’intérêt territorial qui se situent le plus souvent à l’échelle des « pays » et des intercommunalités.

Le mouvement associant l’énergie et les territoires ruraux au niveau européen se consolide actuellement à travers le projet « 100% RES Communities » coordonné par le CLER.

Treize partenaires de dix pays (Allemagne, Autriche, Italie, France, etc) coopèrent, grâce à un financement du programme Energie Intelligente Europe de la Commission Européenne, à la définition d’une approche européenne cohérente autour des territoires à énergie positive.

En plus de faciliter les échanges européens, le projet vise à mettre en place une stratégie commune de reconnaissance des territoires à énergie positive, basée sur un ensemble de critères d’analyse partagés. Il permettra aussi de capitaliser sur les expériences et de diffuser les meilleures pratiques en matière de stratégie énergétique.

Le potentiel est énorme. « La dépense énergétique est aujourd’hui de 1 600 euros par habitant pour l’électricité et la chaleur, selon Yannick Régnier, dont l’essentiel quitte le territoire mais aussi le pays. Le jour où on arrive à réinjecter cette somme dans l’économie locale, on créera de nouvelles activités non-délocalisables et on rééquilibrera la balance énergétique. Aujourd’hui, 65 milliards d’euros sont consumés chaque année au niveau national pour nous approvisionner en pétrole. Cela offre une belle marge de manœuvre, non ? ».