Denis Delbecq, 49 ans, journaliste depuis 20 ans, est physicien de formation, et ancien chercheur. Il a travaillé huit ans à Libération sur les sciences et l’environnement.
Qu’est-ce que tu penses du traitement réservé à l’actualité environnementale dans les médias ?
L’absence de traitement tu veux dire ! C’est un peu une coïncidence, mais le changement dans les médias correspond au moment où, en 2007, Sarkozy a dit “l’environnement ça commence à bien faire” au salon de l’agriculture. C’est le point de départ dans les médias d’un désintérêt progressif pour les sujets qui touchent à l’environnement et au climat. Sauf quand il y des grands événements, comme au moment de Fukushima.
Mais dans la couverture régulière, ça a presque disparu. Il y a quand même la page Planète du Monde qui a succédé à la disparition en 2007 de la rubrique Terre que j’avais créée à Libération. Mais on voit que même cette page là est aujourd’hui menacée dans son existence.
Et le traitement politique ?
Y’a eu une bulle au moment de la création du grand ministère de Borloo, et du Grenelle, même s’il n’en est pas sorti grand chose. On avait l’impression d’un intérêt pour ces questions là mais tout cela a explosé en vol parce d’un coup la crise est arrivée. Les politiques ne parlent plus d’environnement, ils espèrent d’abord rendre les entreprises plus compétitives.
Le discours dominant c’est que le prix de l’énergie menace la compétitivité des entreprises françaises. Notamment vis à vis de l’Allemagne. En l’occurrence, c’est un faux problème. L’Allemagne est le pays qui, en Europe, a l’électricité la plus chère. Et ça ne l’empêche pas d’exporter et de tailler des croupières à tout le monde. Les problèmes de compétitivité de la France vis à vis de ses voisins ne sont pas des problèmes d’énergie, pas plus que de coût du travail.
Quid du débat sur la transition énergétique ?
J’ai fini par m’en désintéresser, parce que chacun campe sur son idéologie et ses idées reçues. Chez les écolos on met la sortie du nucléaire au centre. A l’inverse, les tenants du nucléaire prétendent qu’il va sauver la planète et notre économie. Ce sont deux positions très idéologiques, quasi-religieuses. Personne n’essaie de comprendre la position de l’autre, ce qui conduit à un dialogue de sourd. Dans les compte-rendus de réunions qu’il y a dans le débat public, on constate qu’il s’agit soit de réunions super « vertes » où on va parler beaucoup d’éoliennes, ou au contraire de discussions super nucléaires. Ce n’est pas un débat, puisque chacun parle dans son coin. Il faudrait plutôt le recentrer sur les vraies questions.
Quelles sont ces questions ?
Au sein d’un gouvernement, on raisonne avant tout en terme de sécurité des approvisionnements énergétiques. C’est ce qui dicte les politiques, même dans les pays les plus audacieux comme l’Allemagne.
Mais la question centrale, pour moi, c’est le climat.
Les scientifiques sont formels : il y a urgence à entamer une transition énergétique pour décarboner nos sociétés et donc utiliser les sources d’énergie qui ne rejettent pas de carbone dans l’atmosphère.
Il faut aller extrêmement vite. Quand on regarde les prévisions des agences de l’énergie, et le prochain rapport du GIEC va le confirmer, il faut non seulement baisser nos émissions mais avoir des émissions négatives dès 2060 ou 2070, c’est à dire qu’il va falloir nettoyer l’atmosphère du gaz qui s’accumule et qui reste actif pendant 100 ans.
Qu’est-ce qu’on a sur la table aujourd’hui ? Qu’est-ce qu’on peut imaginer raisonnablement demain ?
On a le nucléaire d’un côté et les énergies renouvelables de l’autre.
Parlons du nucléaire d’abord, qui est peu carboné. La France possède 58 réacteurs. On construit un EPR à Flamanville dont le chantier va de retard en retard. On se retrouve avec des objets extrêmement complexes à fabriquer avec une inflation des coûts et des délais hallucinants.
Que l’on prolonge la durée de vie de ces réacteurs ou pas, à un moment donné il faudra les arrêter. Pour seulement les remplacer, c’est 30 EPR qu’il faudrait construire, à supposer que la consommation d’électricité n’augmente pas. On en construit un premier dans la douleur et le second a été reporté aux calendes grecques. A l’échelle mondiale, le nucléaire ne représentera jamais une part importante de la production d’énergie. En France elle ne peut que diminuer.
Les énergies renouvelables ont beaucoup plus d’avenir. Selon un tout récent rapport de l’Agence Internationale de l'Energie, elles produiront plus que le gaz dans le monde, dès 2016. Mais il ne faut pas rêver. Cela coûte très cher; il faudra développer le stockage de l’électricité à grande échelle, ce qui requiert des sauts technologiques. De même, il faut adapter les réseaux de distribution électrique. Cela ne sera possible qu’à condition de réduire fortement notre consommation partout où c’est possible, tout en luttant contre la précarité énergétique. Mais curieusement, l’efficacité est presque absente du débat sur la transition énergétique.