Des projets éoliens qui laissent la place à l’initiative citoyenne et associent les riverains ? Alors qu’à Béganne, en Bretagne, se construit le premier parc éolien coopératif, participatif, et éducatif, les énergies partagées renouvellent l’idée même de la transition énergétique.
Un citoyen engagé. C’est un peu le portrait que l’on pourrait faire de Michel Leclercq. Ce breton qui est à la fois sculpteur et professeur d’arts plastiques, est un militant de la cause environnementale depuis les années 70.
Lorsqu’en 2002, la filière éolienne industrielle démarre en France, avec plusieurs années de retard sur ses voisins européens, lui et un couple de maraîchers ont eu une idée : créer un parc éolien et coopératif associant les particuliers tout en les sensibilisant aux économies d’énergie.
« J’avais la conviction que la transition énergétique et le développement des énergies renouvelables ne pouvaient être possible sans une implication forte de chacun, habitant, consommateur et élu".
Comment faire lorsque l’on a pas de formation dans le domaine juridique, l’énergie ou la finance ? Jouer collectif. Pour agréger les énergies, Michel fonde avec d’autres habitants du Pays de Redon l'association Éoliennes en Pays de Vilaine.
Grâce à l'implication très forte des bénévoles, aux soutiens publics et privés (collectivités, fondations), et à l'appui d'un bureau d'étude local, ils peuvent lancer les premières études d’un parc éolien coopératif, participatif, et éducatif.
Rapidement, la petite équipe se heurte à toute une série de blocages liés au voisinage d’autres activités. La présence à proximité d’un aérodrome conduit à l'abandon du projet. Plusieurs autres sites du sud du département sont prospectés entre 2003 et 2005, sans succès.
« On était assez naïfs, on est parti la fleur au fusil sans imaginer la longueur du parcours. C’est le parcours du combattant. Sur dix projets, en général deux aboutissent. Ce qui a fait qu’on a tenu bon, c’est qu’on a appris énormément de choses et acquis des compétences qu’on ne soupçonnait pas ».
Effectivement, l’équipe ne se décourage pas et en 2005 rebelote, Éoliennes en Pays de Vilaine porte son attention sur deux nouveaux sites : Béganne/Allaire/Saint-Gorgon (Morbihan) et Sévérac-Guenrouët (Loire- Atlantique). Les premières études et les contacts avec les élus confirment la faisabilité de ces deux projets.
L’espoir renaît
Grâce au soutien de la Fondation de France, du conseil Général d'Ille et Vilaine et de la Région Bretagne, l'association embauche un salarié pour accompagner le projet et coordonner le travail important fourni par les bénévoles.
Mais le développement des deux parcs éoliens engendre des coûts importants (études, mâts de mesure) que l'association n'est pas en mesure de porter seule. Un partenariat est recherché avec un opérateur privé, sans succès, car les initiateurs du projet souhaitent conserver la maîtrise du projet et sa gouvernance locale.
« C’est à ce moment là que nous avons tenté un pari un peu fou : financer nous-mêmes les études en faisant appel à la souscription ».
L'association initie alors la création d'une Sarl, Site à Watts, réunissant vingt-quatre adhérents de l'association. D'autres habitants du territoire, regroupés en Cigales (clubs d'investisseurs pour une gestion alternative locale de l'économie solidaire), rejoignent la Sarl pour soutenir le projet. Au total, 84 citoyens sont associés directement ou via des Cigales dans la société. Enfin, le conseil général de Loire-Atlantique intègre lui aussi la Sarl à travers sa Société d’Économie Mixte dédiée aux énergies renouvelables, la SEM ENEE 44. Site à Watts réunit alors 300.000€ qui permettront de financer les coûts de développement des permis de construire.
« Une éolienne ça coute trois millions d’euros et cela permet de bénéficier d’un outil de production d’énergie pour 20 ans. C’est comme ça que les gens ont vu la chose et ont investi en moyenne 1500 euros chacun », explique Michel Leclercq.
Début 2008, les permis de construire des deux projets sont déposés. En juillet 2009, le préfet du Morbihan délivre le permis du parc de Béganne.
Le rêve prend forme
Chaque parc sera composé de quatre machines de 2 Mégawatts chacune, de quoi alimenter 8000 personnes. Éoliennes en Pays de Vilaine s’attelle alors au montage juridique et financier du premier parc éolien citoyen français. Mais cette fois-ci, il faut trouver pas moins de 12 millions d’euros ! Avec une difficulté supplémentaire, celle de l'appel public à l'épargne.
Associer plus de 99 personnes à une société relève, selon le code monétaire et financier, d'une Offre au Public de Titres Financiers (OPTF). Pour être légale, cette offre doit recevoir un visa de l'Autorité des Marchés Financiers (AMF). L'obtention de ce visa est une démarche juridique lourde, complexe et coûteuse.
Or les projets d'Éoliennes en Pays de Vilaine ne se limitent pas à quelques dizaines de personnes capables d'investir plusieurs milliers d'euros, il faut rassembler le plus grand nombre d'habitants !
Pour régler cette difficulté juridique et permettre l'émergence d'autres projets éoliens citoyens en France, l'association a participé à la création du mouvement Energie Partagée et de son outil financier : Énergie Partagée Investissement, avec le soutien de l’Ademe.
« C'est le premier outil financier innovant d’investissement citoyen dans la production d’énergie renouvelable et l’efficacité énergétique. Cet outil permet à des porteurs de projets et des acteurs des territoires de réunir les fonds propres nécessaires au lancement opérationnel d’un projet, et d’en garder la maîtrise citoyenne ».
En voulant changer l’énergie de son territoire, Michel a finalement changé le visage de la transition énergétique en France. Énergie Partagée Investissement a permis de lever au 30 septembre 2012 : 2,6 Millions d'Euros dont 460.000€ fléchés vers le projet éolien citoyen de Béganne.
« Avec 50 millions d’euros par an de dépense énergétique sur un territoire de 50 000 habitants, l’économie réalisée, surtout dans les territoires ruraux est importante ! Cela laisse songeur, et si en plus, les gens pouvaient devenir auto-consommateurs... », imagine Michel, pour qui le changement ne peut s’envisager qu’à l’échelle locale.
« C’est un des échelons pour faciliter le développement des renouvelables : impliquer les collectivités locales et les citoyens pour qu’ils se l’approprient. Sensibiliser aussi au fait de ne pas le gaspiller et créer une dynamique locale qui va bien au delà, puisque cela crée de l’activité, de l’emploi et des entreprises ».
En décembre 2010, la SAS Bégawatts, société d'exploitation du parc éolien citoyen, est créée. En mai 2013, le chantier du parc éolien peut enfin démarrer. Le site produira 8 mégawatts, grâce à 4 éoliennes.
« Finalement, je suis fier du résultat. La réaction des habitants a été à la hauteur de nos espérances. On n’a pas eu de comité d’opposition qui s’est formé, parce qu’on a fourni l’information la plus transparente possible et un modèle de développement collectif » veut croire Michel.
Le 15 juin commence le câblage. Puis le montage des éoliennes jusqu’à 2014. D’ici là, Michel Leclerc croise les doigts… et continue de proposer des actions de sensibilisation et d'éducation à la question des énergies auprès des jeunes générations.
Le suivi du chantier en direct ici.